True Grit n’est pas féministe

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Bien que je puisse comprendre le plaisir que l’on peut éprouver à regarder enfin au cinéma une fille qui soit jeune, non-sexualisée, forte et courageuse, True Grit, le dernier film des frères Coen, n’est pas un film féministe, loin de là. Et voici pourquoi: 


La première chose qui m’a atterrée est que le nom de l’actrice qui joue Mattie Ross, la jeune fille, ne figure ni sur l’affiche, ni au début du film, ni au début du générique avec le « cast » et les acteurs principaux: il est balancé de manière complètement désinvolte à la toute fin du générique,  en tant que « supporting role ». C’est choquant. Son nom est passé tellement rapidement que je ne m’en souvenais même plus, j’ai dû chercher sur internet pour le retrouver – elle s’appelle Hailee Steinfeld. Son rôle est le personnage principal du film. C’est elle qui raconte l’histoire, et c’est son histoire qui est racontée. D’emblée, donc, la place de son nom dans le film m’informe de tout le mépris des frères Coen pour le rôle de cette fille, pour la contribution monumentale de l’actrice au film, son travail. Elle est censurée, mise au ban, comme une punie. Elle n’est plus qu’un accessoire. 


Deuxièmement, Mattie Ross n’est pas féministe. C’est un jouet préfabriqué par les hommes, pour leur propre titillement de voir une fille haute comme trois pommes réduire les grands gaillards à néant avec ses paroles et son assurance massacrantes. L’unique intérêt du film est l’effet surprise, l’humour censés se dégager du fait qu’elle mène les hommes et les cowboys sanguinaires par le bout du nez, et qu’elle les casse les uns après les autres. Ce qui rend la situation jouissante, c‘est précisément le fort contraste entre son manque de crédibilité apparent, un cliché sexiste supposé par les réalisateurs comme communément admis (dû à son sexe féminin et son jeune âge, associés à la faiblesse, la douceur, l’émotivité, la superficialité) et sa position de force dans un monde ultra masculin et violent. Ce film repose donc sur la certitude que le public soit suffisamment sexiste pour trouver hilare qu’une jeune fille soit tellement forte au point de vivre et de parler « comme les hommes ». True Grit n’aurait aucun intérêt dans une culture égalitaire et non-sexiste. 


True Grit est intoxiqué par le sexisme. Lorsque les hommes parlent d’autres femmes, ce n’est uniquement pour rappeler leur statut inférieur: en tant qu’insulte à un autre homme, pour ridiculiser ce qu’elle est ou la réduire à son sexe (le plus souvent présenté sous forme de « blagues »). Le sexe de Mattie est d’ailleurs constamment rappelé, afin d’insister sur son statut de différente, au cas où on l’avait pas compris: à chaque nouvelle rencontre, elle est ridiculisée, remise à sa place de manière crue et sexiste, ou au mieux ignorée. Mattie est à peu de choses près la seule femme ayant un rôle parlant dans le film – hormis une vieille qui ronfle la nuit et la patronne d’un hôtel (qui par ailleurs traite aussi Mattie comme une gamine). La seule fois où Mattie parle d’une femme, c’est de sa mère, pour dire que c’est une pauvre folle illettrée. Mattie est seule dans un monde masculin dominé par les hommes. 


Ce qui renforce ma conviction que Mattie a été fabriqué comme jou-jou temporaire pour le titillement des spectateurs hommes et non par conscience que les femmes sont des êtres humains, c’est qu’à la fin, les réalisateurs s’arrangent pour tout faire rentrer dans l’ordre: elle se fait enlever, les gars sont obligés de la sauver des méchants, elle tombe dans un ravin, se fait mordre par un serpent (tiens tiens, ça vous rappellerait pas une histoire misogyne dans la bible non?), et un des gars sauve sa vie (tue son cheval d’une manière atroce en passant), mais elle perd quand-même un bras. 


Alors, je répète: la fille super forte et indépendante finalement retrouve son statut de petite fille inoffensive, vulnérable, impuissante et nécessitant la protection des hommes – et en plus, on la punit pour sa bravoure, puisqu’elle perd un bras (les deux personnages principaux masculins ne perdent rien du tout) et passe le restant de ses jours à vénérer ses sauveurs phalliques. Les hommes ont donc l’égo sauf, peuvent rentrer tranquillement chez et dormir sur leurs deux oreilles; elle n’était pas là pour les castrer, ni pour prendre leur place, ouf!!! 


Pour finir, comme pour tous les films androcentriques, les valeurs stéréotypiquement masculines sont glorifiées, et la violence, la domination, l’agressivité, le calcul froid et l’absence d’émotion ou d’empathie sont les seuls modes d’expression possibles. Mais Anita Sarkeesian en parlera mieux que moi:

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